Nathan Brokward [U.C]

Après son tour à la fête foraine, le jour avait fortement baissé et le vent avait augmenté de puissance, ébouriffant complètement Jasper et l'incitant à ne plus sortir ses mains de ses poches pour prendre des photos, sous la menace de sentir ses doigts se geler autour de son appareil. Et pourtant, même si il faisait moche et qu'il sentait venir la pluie, il ne voulait pas rentrer chez lui, toujours pour ressasser les mêmes pensées, les mêmes questions, les mêmes peurs. C'est donc pour essayer de trouver quelque chose à faire qu'il reprit sa voiture pour la garer dans le quartier Nord, afin de pouvoir se balader, et peut-être pouvoir prendre quelques clichés. Après avoir garé son bolide dans un parking à proximité du quartier, il se mit à marcher et à arpenter les diverses rues, à la fois à la recherche de solitude, de jolis clichés peut être mais surtout de quelque chose, ou même d'une ballade qui lui suffirait à se changer les idées. Heureusement, à la fête foraine, il avait déjà fait une rencontre surprenante et qui avait réussi à lui changer un peu les idées, ne pensant plus à l'école, au front, ni même au père de Lucia.

En passant dans la voiture, il avait récupéré son paquet de clopes, ainsi que son sac dans lequel il avait précieusement rangé son appareil, avec la photo d'Austin dont il était fier, et, le sac à dos noir sur une de ses épaules, il sortit une cigarette de son paquet pour l'allumer, coincée entre ses lèvres, difficilement en raison du temps humide et venteux. Alors que la nicotine se propageait de nouveau dans son corps, le rendant un peu moins tendu, et qu'il recrachait encore la fumée, il regardait les vitrines des boutiques d'un œil un peu distrait, comme si ce n'était qu'un paysage quelconque qui défilait sous ses yeux. Même si il cherchait à échapper à ses problèmes, il ne faisait que penser à eux, inévitablement.

Pourtant, après avoir déambulé dans les rues pendant seulement quelques minutes, il sentit une goutte tomber sur son visage, suivie d'une autre, et d'encore une autre. Et merde, jura-t-il entre des dents en voyant que la pluie tombait de plus en plus drue et qu'il serait bientôt trempé si il ne se réfugiait pas quelque part. Jetant sa cigarette non finie au sol et l'écrasant rapidement avec regret, le regard du jeune homme balaya les alentours et tomba sur le bâtiment en face de lui, au bout de la rue qui était en fait la patinoire. Après tout, ce n'était que pour se réfugier, et puis, il faisait déjà froid à l'extérieur, il pourrait bien supporter le froid de la glace de l'intérieur. Et une des choses les plus importantes, ce serait sûrement vide à cette heure-ci. Optant donc pour se réfugier dans la patinoire, il accéléra le pas et se trouva en quelques dizaines de secondes à l'abri, dans le hall, où les casiers se trouvaient. Heureusement d'ailleurs, car il commençait déjà à commencer à être trempé.

Il se passa la main dans les cheveux pour essayer de les replacer correctement, les empêchant de se plaquer sur son front et de cacher ses grands yeux bleus et il s'approcha de l'accueil. La jeune fille qui se chargeait de vendre les places l'informa qu'ils allaient bientôt fermer mais il lui demanda quand même un ticket: Il n'irait pas patiner, mais se contenterait de regarder les gens patiner, alors qu'il voyait de nombreuses familles sortir, l'air frigorifié. La secrétaire finit par accepter devant les deux yeux bleus qui la fixait et il put rentrer sans encombre jusqu'à la patinoire principale.

Quelle ne fut pas sa surprise, en entrant que de découvrir qu'il ne restait en effet plus qu'environ cinq personnes, mais surtout que dans ces 5 personnes se trouvait la jeune fille qu'il s'attendait le moins à voir, celle qu'il avait rencontré la vieille, Lucia. Toutes les choses que le directeur lui avait dit la veille lui revinrent en esprit comme une claque et il ne bougea pas, hésitant même à faire demi-tour. Comment pouvait-il être normal avec elle, alors qu'elle ne savait pas que son père était mort, et que lui, complètement étranger à la famille, le savait déjà... Il passa une main sur ses yeux, réfléchissant un instant puis se redressa, posant sa main sur la rambarde. Il avait déjà menti à des tonnes de personnes, il n'aurait pas tant de mal à lui mentir, ou du moins, à lui éviter de savoir la mort de son paternel. Ce n'était pas à lui de lui apprendre, et il n'aurait en aucun cas voulu le lui annoncer. Cependant, cette fille l'intriguait tellement qu'il décida de rester. Il avança jusqu'à être vers le milieu de la piste, toujours du côté sans glace, sans la quitter des yeux.

Il la trouva tellement élégante dans ses gestes qu'il ne put s'empêcher de dégainer son appareil et de prendre une photo, sans flash bien sûr, de la jeune fille glissant sur la glace. Satisfait, il rangea à nouveau son trésor dans le sac et laissa ce dernier par terre, à côté de ses pieds, contre le rebord. Il s'y accouda, et resta à contempler la jeune fille pendant quelques minutes, sans qu'elle ne l'ai remarqué. Toutes sortes de pensées lui traversaient l'esprit, et il se surprit même à se demander comment elle réagirait à la nouvelle de la mort de son père. Ce n'était pas pour la voir pleurer, bien au contraire, il détestait le genre de filles qui geignaient pour tout et pour rien, qui se plaignaient et pleuraient sans cesse, au moindre détail. Si elle faisait partie de l'une d'entre elles, c'était sûr, son intérêt pour la jeune fille descendrait bien bas.

Elle finit par le remarquer et il ne bougea pas d'un poil, la fixant toujours impunément alors qu'elle s'approchait de lui et du rebord. Un sourire amusé se fixa sur ses lèvres à sa réflexion et il se redressa complètement, jaugeant l'espace d'un instant la jeune fille avant de répondre.

- C'est pas grave, on aura d'autres occasions de se voir pour que vous me fassiez avaler un livre de Faust... Mais je ne manquerais pas de passer à la bibliothèque dès que j'aurais du temps, ajouta-t-il après un temps de silence.

Et il espérait bien la voir de nouveau, après aujourd'hui, car même si cela le répugnait de connaître quelque chose sur elle et sa famille qu'elle ne connaissait même pas elle-même, c'était indubitable, elle l'intriguait complètement, et son répondant n'y était pas pour rien. Il balaya la glace du regard et reposa ensuite ses yeux sur elle.

- Alors, à part la lecture, le patinage est un de vos hobbies? demanda-t-il, la légère pointe d'ironie habituelle, ne se faisant presque plus sentir dans ses phrases.